Je suis maintenant à Kelowna, capitale de l’Okanagan. Ce territoire ressemble à la provence (ou à la Drôme pour être plus précis). Il fait chaud et sec, il y a des averses orageuses tout les jours vers 14h mais çà sèche très vite. Le pays est plein de vergers (pommes, cerises, poires, pêches, abricots, prunes …) et de vignes.
Je suis arrivé vendredi à 12h et à 16h je commençais à bosser. Bon je dois dire que je n’ai pas été regardant sur le boulot et que j’ai un peu menti sur mes compétences mais ma foi çà a marché. Je bosse donc désormais à faire du « thinning » (=amincissement), c’est-à-dire à enlever les petites pommes des pommiers de manière à ce que celles qui restent soient plus grosses et plus belles. L’avantage de bosser dans une ferme c’est qu’on est logé, au calme et en plus on peut manger les légumes du jardin qui trop bons !! L’inconvénient c’est qu’on ne rencontre pas grand monde.
Les gars avec qui je bosse sont sympas mais pas gâtés par la vie. Les 2 qui habitent sur place avec moi sont Québecois. Raymond bosse ici à l’année ou presque. Yoland lui est arrivé là comme un bateau s’échoue sur une plage. Il vient de Montréal. Il a croisé Raymond en ville qui lui a donné 10$ pour mettre de l’essence dans sa voiture et qui lui a proposé de venir bosser au thinning. Il n’avait plus un sous en poche, pas de boulot, plus d’essence pour se déplacer, bloquer sur le parking du supermarché.
Yoland s’est cassé le bras deux jours après avoir commencé, bêtement, en tombant de 1m20. Il a une couverture sociale au Québec mais çà ne marche pas en Colombie Britannique. Du coup il est là dans sa voiture à attendre. Le bras est en plusieurs morceaux, il faudrait qu’il se fasse opérer. Il ne sait pas s’occuper de lui même et il se laisse dépérir. Dave (le patron) cherche une solution.
Il y a aussi Steeve qui bosse avec nous. Il doit avoir la trentaine. Il est athlétique et a rouler sa bosse un peu partout. Il est diabétique mais n’a pas de fric pour se payer un traitement basique (~450$/mois). Il n’est pas venu travailler aujourd’hui. Trop d’insuline hier à priori, il se sentait mal. Il ne peut pas se payer les bandes pour mesurer sa glycémie.
Je me sens un peu merdeux à bosser pour payer l’assurance de ma voiture et pour m’acheter un vélo quand d’autres sont vraiment dans une situation délicate. En même temps je ne peux pas faire grand chose de plus qu’être un bon compagnon. Ou alors il faudrait que j’y consacre ma vie. Le boulot est payé au SMIC local (9,15$/h). Alors je bosse tant que je peux en attendant les cerises (mieux payées). J’arrive à tenir ~60h/semaine. C’est peu. La dispersion des revenus est très forte. Un mécano gagne ~25$ de l’heure, 50 pour de la mécanique spécialisée (genre TP) et c’est facile de faire des heures sup’ (payées double). Pour des boulots très qualifié je ne sais pas mais je suppose que çà gagne très bien.
La bulle immobilière est impressionnante en BC. Ici à Kelowna, un logement « prime » a pris 500% entre 1997 à 2007 et un logement standard 270%. Il y a 12 golfs dans la ville (130 000 habitants) et 31 dans la région. Un terrain avec vue panoramique sur le golf et sur le lac s’est récemment vendu 6M$. Ce terrain ne valait pas grand chose il y a 10 ans et rien il y a 20 ans. Si le golf n’est plus entretenu ce terrain ne vaudra plus grand chose. L’aéroport local est le 10° du Canada. Et en effet je vois une bonne vingtaine dizaine d’avions tout les jours. C’est exagéré à mon goût. Décorrélé du réel, les vergers, qui ne rapportent pas grand chose. Les agriculteurs préfèrent une catastrophe naturelle à une bonne récolte, ils gagnent mieux leur vie. En me baladant j’ai vu beaucoup de vergers abandonnés ou mal entretenus. Le vin à l’air de rapporter plus mais il est pas bon (pour un français).
En BC (Colombie Britannique), il y a beaucoup d’herbe. Je sens souvent l’odeur du joint, partout. A Kelowna, beaucoup de saisonnier ou de paumés qui sont là pour l’été, parce qu’il y fait beau, qu’il y a du boulot et qu’ils vont pouvoir faire la fête tout l’été. La BC est réputée en Amérique du Nord pour la qualité de son herbe. De fait, pas un jour sans croiser quelqu’un qui fume un pétard dans la rue. Raymond fume un joint dès le petit déjeuner, comme tout les saisonniers avec qui je suis. Je pense que çà a joué dans la chute de Yoland. Sur prescription médicale on peut acheter de l’herbe et en faire pousser. Il y a un énorme marché noir, avec probablement des sommes colossales en jeu. Le prix de l’herbe est élevé : aux alentours de 7$ le gramme (un mec comme Raymond doit fumer 3g par jour). Le marché est mondialisé m’a t-on dit pour expliquer le prix élevé de la marchandise qui est pourtant produite localement. Les Québecois sont mal vus dans la région. Ce sont souvent eux qui fument et qui chapardent.